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Le Lean est mort, vive le Lean

Article publié en mars 2018 par P. Pigeot



Fin août 2017, James Womack, promoteur du Lean dans les années 90’s, publie sur son site Planet_Lean un article rempli d’amertume et d’espoir « Where lean has failed and why not to give up ».

 

 Le Lean est-il-mort ?

Taichi Ohno, alors vice-président de Toyota Motor Company, publie en 1978 au Japon le livre Toyota Production System–Beyond large scale production (Toyota Seisan Hoshiki) dans lequel il explique la philosophie et les principes du système de production de Toyota (TPS) qu’il a mis en œuvre dès les années 50’s. Dans la préface il écrit « Toutefois le TPS n’est pas qu’un système de production. J’ai confiance qu’il révèlera sa force comme système de management adapté à l’ère des marchés mondiaux et des systèmes sophistiqués d’aujourd’hui ».

En 1986 le MIT publie les conclusions d’un benchmarking sur l’avenir de l’industrie automobile dans le monde qui met en évidence la supériorité économique écrasante du TPS par rapport aux pratiques des autres constructeurs automobiles. James Womack et deux universitaires ayant conduit le benchmark du MIT publient en 1990 The machine that changed the world, première étude méthodique du système de Toyota qui fait apparaître le terme lean pour désigner la méthode de management développée par Taiichi Ohno.

L’idée toute neuve du Lean Management est alors vite la proie des phénomènes de modes auxquels sont malheureusement si sensibles les courants de pensée sur le management et le business du consulting. Les racines du système imaginé par Taiichi Ohno sont vite oubliées au profit d’une vulgarisation et d’une approche dogmatique des méthodes et des outils utilisés chez Toyota.

Dans son livre et dans les interviews qu’il donne, Taiichi Ohno explique que beaucoup d’entreprises occidentales appliquent les principes du Toyota Production System, mais qu’elles en tirent rarement les bénéfices parce qu’elles n’ont pas compris la philosophie du système et ne mettent en œuvre qu’une partie des principes.

Voilà ce que déclarait en 2003 Carl Klemm, Directeur Qualité de l’usine Toyota de Burnaston en Grande Bretagne :

« Nos concurrents ainsi que d’autres industries peuvent comprendre des parties du système Toyota, mais il faut le système complet pour que tout se tienne. (…) Certains concurrents ont mis en application des parties, mais le système ne fonctionne pas sur la base d’une utilisation partielle. Si une partie est mise en œuvre pour faire une chose et une autre partie tente de faire quelque chose d’autre, alors cela amène de la confusion et le système n’assurera pas ses fonctions convenablement. ». 

Quinze ans plus tard ces propos sont encore d’actualité. Beaucoup d’entreprises imitent Toyota mais ne cherchent pas à copier son système de management pour l’intégrer dans leur fonctionnement.

Là est l’origine du sentiment d’essoufflement dans le déploiement du Lean, du sentiment d’inachevé, voire d’échec que constate Womack.

 

Vive le Lean !

Il faut sauver le soldat Lean ! Pour le sauver il nous faut revenir aux fondamentaux, revenir aux sources du système de génie qu’a inventé Taiichi Ohno.  

L’ouvrage que Taiichi Ohno écrivit lorsqu’il prit sa retraite n’est ni une thèse d’université, ni un support de formation, ni un livre de préceptes et de recettes à appliquer. C’est un roman qui raconte l’histoire de la naissance, de la jeunesse et de la maturité du Toyota Production System. Les personnages de ce roman sont les principes fondateurs du TPS. Ils évoluent dans différentes scènes de la vie économique, du contexte industriel de l’époque, du contexte humain et technique des usines Toyota. Taiichi Ohno raconte les difficultés auxquelles il a dû faire face pour arriver au résultat que nous connaissons, les pièges qu’il sut éviter et l’opiniâtreté dont il sut faire preuve pour convaincre ses collègues et sa hiérarchie. Les principes virevoltent, se croisent, interagissent, s’entraident et se complètent. C’est ainsi qu’Ohno nous transmet l’esprit de son système dont toutes les composantes trouvent leur force dans leurs interactions.

 

 Revenir aux sources : une approche systémique du Lean

Connaître les outils du TPS et les étapes pour les mettre en œuvre est insuffisant pour comprendre les fondements du système.

L’approche systémique permet de s’élever pour mieux voir, de relier pour mieux comprendre, de situer pour mieux agir. La systémique s’appuie sur une approche globale et se concentre sur les interactions entre les éléments constitutifs du système.

Le Toyota Production System repose sur des principes interactifs qui se nourrissent les uns les autres. Chacun des principes n’est efficace que si les autres principes sont respectés. Chacun des principes ne trouve son sens et son efficacité que dans la cohérence de l’ensemble du système de management.

Le système de management de Taiichi Ohno est construit selon sur deux axes :

-     L’action au plus juste en éliminant chaque jour tous les gaspillages sans valeur ajoutée pour le client ;

-     L’amélioration continue par l’engagement de chacun et l’implication de tous.

Alors que les systèmes de management se focalisent généralement sur la seule dimension humaine, Taiichi Ohno développe son système dans trois dimensions :

-      Diriger : animer les hommes et les femmes pour donner vie à l’entreprise ;

-      Organiser : définir les tâches à exécuter, comment, dans quel ordre, pour quoi faire, par qui et où les exécuter ;

-      Agencer : aménager physiquement le lieu où les personnes exécutent leur travail.

Pour mettre en place le système de management de Taiichi Ohno il faut agir simultanément dans ces trois dimensions et placer l’Homme au centre du dispositif car, quel que soit le domaine – technique, commercial, financier ou autre –  il y a toujours des hommes et des femmes impliqués dans l’efficacité de l’organisation. L’amélioration de la performance d’une entreprise s’appuie toujours sur des processus humains et des relations humaines.

Taiichi Ohno organise le travail et aménage le lieu de travail de façon à pouvoir diriger comme le souhaite : un management centré sur la compétence de chaque individu afin qu’il puisse accomplir efficacement son travail avec l’autonomie suffisante pour réagir correctement face à une situation anormale, à son niveau et avec l’aide de ses collègues de proximité. Taiichi Ohno responsabilise l’Homme et enrichit la valeur de son travail en le rendant acteur de l’organisation de sa propre activité pour être efficace dans l’accomplissement de ses tâches.

 

La mise en place du Lean est un processus fragile

Entrer dans une démarche de lean management n’est pas simplement un projet qui a un début et une fin. C’est la mise en place et le maintien dans le temps d’un ensemble de dispositions de travail basées sur de nouveaux raisonnements, de nouvelles pratiques et une façon différente de manager du haut en bas de la ligne hiérarchique, depuis le Président jusqu’à l’Opérateur, dans les fonctions opérationnelles comme dans les fonctions de support et dans les fonctions de contrôle.

La démarche lean reste fragile pendant plusieurs années parce qu’elle est confrontée à deux phénomènes :

1)       Subir la pression du court terme qui tend à favoriser les dépenses dont le bénéfice est immédiatement visible en gains financiers. Cette pression risque de devenir particulièrement forte dans les turbulences économiques présentes et à venir ;

2)       Se dissoudre et s’évaporer avec le renouvellement des générations de cadres dirigeants et ceci au plus haut niveau de l’entreprise, là où justement les prérogatives sont maximales. Qui pourra empêcher un futur membre de la Direction Générale ou un futur Président d’arrêter la démarche lean soit parce que la pression économique à court terme est insupportable, soit parce que sa culture industrielle n’est pas en phase avec la philosophie de Taiichi Ohno, soit parce qu’il a été déçu par de précédentes expériences décevantes ou éphémères ?

Ancrer la démarche lean dans la durée relève de la gouvernance de l’entreprise au plus haut niveau, c'est-à-dire au-delà des membres de la Direction. Le Lean doit devenir une valeur institutionnelle et culturelle de l’entreprise, car l’institution est faite pour résister aux changements de court terme et s’inscrire dans le temps afin d’assurer la pérennité de l’entreprise.

 

Conclusion

Le premier enseignement du Toyota Production System est que ce système ne produit de résultats que s’il est appliqué dans sa totalité par l’ensemble du management et du personnel, du haut en bas de la hiérarchie.

Le deuxième enseignement, trop souvent occulté, est qu’il faut s’inscrire dans la continuité pour réussir. C’est un projet d’entreprise.

 


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