Fin août 2017, James Womack, promoteur du Lean dans les années 90’s, publie sur son site Planet_Lean un article rempli d’amertume et d’espoir « Where
lean has failed and why not to give up ».
Le Lean est-il-mort ?
Taichi Ohno, alors vice-président de Toyota Motor Company, publie
en 1978 au Japon le livre Toyota
Production
System–Beyond large scale production (Toyota Seisan
Hoshiki) dans lequel il explique la philosophie et les principes
du système de production de Toyota (TPS) qu’il a mis en
œuvre dès les années 50’s. Dans la préface il écrit
« Toutefois le TPS n’est pas qu’un système de
production. J’ai confiance qu’il révèlera sa force
comme système de management adapté à l’ère des marchés
mondiaux et des systèmes sophistiqués d’aujourd’hui ».
En 1986 le MIT publie les conclusions d’un benchmarking sur
l’avenir de l’industrie automobile dans le monde qui met
en évidence la supériorité économique écrasante du TPS
par rapport aux pratiques des autres constructeurs
automobiles. James Womack et deux universitaires ayant
conduit le benchmark du MIT publient en 1990 The
machine
that changed the world, première étude méthodique
du système de Toyota qui fait apparaître le terme lean
pour désigner la méthode de management développée par
Taiichi Ohno.
L’idée toute neuve du Lean
Management est alors vite la proie des phénomènes
de modes auxquels sont malheureusement si sensibles les
courants de pensée sur le management et le business du
consulting. Les racines du système imaginé par Taiichi
Ohno sont vite oubliées au profit d’une vulgarisation et
d’une approche dogmatique des méthodes et des outils
utilisés chez Toyota.
Dans son livre et dans les interviews qu’il donne, Taiichi Ohno
explique que beaucoup d’entreprises occidentales
appliquent les principes du Toyota Production System, mais qu’elles en tirent
rarement les bénéfices parce qu’elles n’ont pas compris
la philosophie du système et ne mettent en œuvre qu’une
partie des principes.
Voilà ce que déclarait en 2003 Carl Klemm, Directeur Qualité de
l’usine Toyota de Burnaston en Grande Bretagne :
« Nos concurrents
ainsi que d’autres industries peuvent comprendre des
parties du système Toyota, mais il faut le système
complet pour que tout se tienne. (…) Certains
concurrents ont mis en application des parties, mais
le système ne fonctionne pas sur la base d’une
utilisation partielle. Si une partie est mise en œuvre
pour faire une chose et une autre partie tente de
faire quelque chose d’autre, alors cela amène de la
confusion et le système n’assurera pas ses fonctions
convenablement. ».
Quinze ans plus tard ces propos sont encore d’actualité. Beaucoup
d’entreprises imitent Toyota mais ne cherchent pas à
copier son système de management pour l’intégrer dans
leur fonctionnement.
Là est l’origine du sentiment d’essoufflement dans le déploiement
du Lean, du
sentiment d’inachevé, voire d’échec que constate Womack.
Vive le Lean !
Il faut sauver le soldat Lean ! Pour le sauver il nous faut
revenir aux fondamentaux, revenir aux sources du système
de génie qu’a inventé Taiichi Ohno.
L’ouvrage que Taiichi Ohno écrivit lorsqu’il prit sa retraite
n’est ni une thèse d’université, ni un support de
formation, ni un livre de préceptes et de recettes à
appliquer. C’est un roman qui raconte l’histoire de la
naissance, de la jeunesse et de la maturité du Toyota Production System. Les personnages de ce roman sont les
principes fondateurs du TPS. Ils évoluent dans
différentes scènes de la vie économique, du
contexte industriel de l’époque, du contexte humain et
technique des usines Toyota. Taiichi Ohno raconte les
difficultés auxquelles il a dû faire face pour arriver
au résultat que nous connaissons, les pièges qu’il sut
éviter et l’opiniâtreté dont il sut faire preuve pour
convaincre ses collègues et sa hiérarchie. Les principes
virevoltent, se croisent, interagissent, s’entraident et
se complètent. C’est ainsi qu’Ohno nous transmet
l’esprit de son système dont toutes les composantes
trouvent leur force dans leurs interactions.
Revenir
aux
sources : une approche systémique du Lean
Connaître les outils du TPS et les étapes pour les mettre en
œuvre est insuffisant pour comprendre les fondements du
système.
L’approche systémique permet de s’élever pour mieux voir, de
relier pour mieux comprendre, de situer pour mieux agir.
La systémique s’appuie sur une approche globale et se
concentre sur les interactions entre les éléments
constitutifs du système.
Le Toyota Production System
repose sur des principes interactifs qui se nourrissent
les uns les autres. Chacun des principes n’est efficace
que si les autres principes sont respectés. Chacun des
principes ne trouve son sens et son efficacité que dans
la cohérence de l’ensemble du système de management.
Le système de management de Taiichi Ohno est construit selon sur
deux axes :
-
L’action
au
plus juste en éliminant chaque jour tous les gaspillages sans valeur
ajoutée pour le client ;
-
L’amélioration
continue par l’engagement de chacun et l’implication de tous.
Alors que les systèmes de management se focalisent généralement
sur la seule dimension humaine, Taiichi Ohno développe
son système dans trois dimensions :
-
Diriger
:
animer les hommes et les femmes pour donner vie à
l’entreprise ;
-
Organiser
: définir les tâches à exécuter, comment, dans quel ordre, pour
quoi faire, par qui et où les exécuter ;
-
Agencer
:
aménager physiquement le lieu où les personnes exécutent
leur travail.
Pour mettre en place le système de management de Taiichi Ohno il
faut agir simultanément dans ces trois dimensions et
placer l’Homme au centre du dispositif car, quel que
soit le domaine – technique, commercial, financier ou
autre – il
y a toujours des hommes et des femmes impliqués dans
l’efficacité de l’organisation. L’amélioration de la
performance d’une entreprise s’appuie toujours sur des
processus humains et des relations humaines.
Taiichi Ohno organise le travail et aménage le lieu de travail de
façon à pouvoir diriger comme le souhaite : un
management centré sur la compétence de chaque individu
afin qu’il puisse accomplir efficacement son travail
avec l’autonomie suffisante pour réagir correctement
face à une situation anormale, à son niveau et avec
l’aide de ses collègues de proximité. Taiichi Ohno
responsabilise l’Homme et enrichit la valeur de son
travail en le rendant acteur de l’organisation de sa
propre activité pour être efficace dans
l’accomplissement de ses tâches.
La
mise en place du Lean est un processus fragile
Entrer
dans
une démarche de lean management n’est pas
simplement un projet qui a un début et une fin. C’est la
mise en place et le maintien dans le temps d’un ensemble
de dispositions de travail basées sur de nouveaux
raisonnements, de nouvelles pratiques et une façon
différente de manager du haut en bas de la ligne
hiérarchique, depuis le Président jusqu’à l’Opérateur, dans
les fonctions opérationnelles comme dans les fonctions
de support et dans les fonctions de contrôle.
La
démarche
lean reste fragile pendant plusieurs années parce
qu’elle est confrontée à deux phénomènes :
1)
Subir
la pression du court terme qui tend à favoriser les
dépenses dont le bénéfice est immédiatement visible en
gains financiers. Cette pression risque de devenir
particulièrement forte dans les turbulences économiques
présentes et à venir ;
2)
Se
dissoudre et s’évaporer avec le renouvellement des
générations de cadres dirigeants et ceci au plus haut
niveau de l’entreprise, là où justement les prérogatives
sont maximales. Qui pourra empêcher un futur membre de
la Direction Générale ou un futur Président d’arrêter la
démarche lean soit parce que la pression
économique à court terme est insupportable, soit parce
que sa culture industrielle n’est pas en phase avec la
philosophie de Taiichi Ohno, soit parce qu’il a été déçu
par de précédentes expériences décevantes ou
éphémères ?
Ancrer
la
démarche lean dans la durée relève de la
gouvernance de l’entreprise au plus haut niveau,
c'est-à-dire au-delà des membres de la Direction. Le Lean
doit devenir une valeur institutionnelle et culturelle
de l’entreprise, car l’institution est faite pour
résister aux changements de court terme et s’inscrire
dans le temps afin d’assurer la pérennité de
l’entreprise.
Conclusion
Le premier enseignement du Toyota Production System est
que ce système ne produit de résultats que s’il est
appliqué dans sa totalité par l’ensemble du management
et du personnel, du haut en bas de la hiérarchie.
Le deuxième enseignement, trop souvent occulté, est qu’il faut
s’inscrire dans la continuité pour réussir. C’est un
projet d’entreprise.
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